Commentaire de Michel Piriou, auteur, sur le roman Le mur et la raison

Cher collègue, cher Jean-Yves,

Comme chacun de nous, vos écrits sont le reflet de ce que vous laissez voir de vous. Mais comment en pourrait-il en être autrement ? Et votre famille, vos amis, votre entourage, aiment ce que vous êtes parce que vous leur renvoyez comme une image d’eux-mêmes. Autant dire que vous êtes profondément humain et que cela transpire jusque dans votre manière d’écrire.

Ainsi, comme chacun d’entre nous, vous avez votre propre style, votre identité de scripteur. Et il n’y a rien à changer à cela, bien évidemment. Vous montrez une écriture posée, qui avance mot après mot, phrase après phrase, dans un pas à pas mesuré. Votre entourage adopte votre manière d’être, et sait s’adapter à votre manière d’écrire.

Le lecteur lambda ne vous connaît pas. Il reçoit, il lit votre prose depuis le point de vue qu’il s’est construit au cours de sa vie, son identité culturelle. Il a des attentes, ses attentes de lecteur.

Il me semble que votre texte, et c’est remarquable dans « Le mur et la raison », a besoin d’être lu posément, j’ai presqu’envie de dire, à la vitesse de la parole. Il semble fait pour être dit. Comme un travail qui fait résonner chaque son, comme pour faire vibrer chaque signifiant. Peut-être une forme de poésie.

Je veux souligner ici que la parole s’effectue en moyenne à 9000 mots par heure. Trois fois moins vite que la lecture « intérieure » d’un lecteur confirmé. On peut comprendre alors que le lecteur ressente comme une résistance à son confort. Il est probable que le lecteur lambda, celui qui veut s’approprier votre univers pour le digérer, le lecteur client qui a des attentes de consommateur de l’instant, qui a les goûts que forge l’actualité des médias, il est possible que ce lecteur moyen ressente aussi comme une forme de résistance. Certains parleront ici de fluidité, laissant penser que cette fluidité favoriserait la fluence de la lecture, le confort du lecteur pour tout dire. Simple argument mercantile. C’est un non sens. Encore une fois, le lecteur réagit au style, à la manière d’écrire, à la manière d’être et de penser de l’auteur. Et pour ce qui est de la fluence, elle concerne la restitution orale d’un texte. C’est la capacité d’un élève à ne pas ânonner, ne pas couper le rythme de la lecture, ne pas hésiter… Rien à voir avec le lecteur confirmé.

Mais, nous sommes tous confrontés à la problématique du lecteur qui en veut pour son argent. Que faire pour être lu, pour exister davantage à travers l’exercice de la pensée travaillée par ce langage qu’est la littérature ?

Le lecteur lambda est avide de rythme, de célérité et de densité. Quelle information nouvelle peut l’amener à tourner une nouvelle page ? Quelle action « inattendue » peut le maintenir en haleine ? Comment être sûr d’abreuver la pensée du lecteur à chaque instant ? C’est bien le pari du scripteur d’amener son lecteur jusqu’à la fin de son livre. Voire de lui donner l’envie de recommencer depuis le début pour vivre plus intensément encore. Flaubert a réussit avec sa « pauvre » Madame Bovary parce qu’il nous donne à voir au-delà de ce personnage « commun » notre monde avec ce langage qu’est la littérature. Et Vinci nous montre autre chose encore avec le langage de la peinture. Et les mathématiques nous invitent à penser de l’insaisissable à nos sens. Et la musique, la géographie, le cinéma… Ce sont des langages parce que leur écriture permet de pétrir de la Pensée, de comprendre et de pouvoir peser sur le monde.

Rien de bien nouveau dans tout ce que je dis, cependant que toute occasion est bonne d’en faire l’exercice de raisonnement par écrit. Pour soit, pour son propre entendement, au détour d’une conversation…

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